MÉMOIRE DE LA FÉDÉRATION DES COMMUNAUTÉS FRANCOPHONES ET ACADIENNES (FCFA) DU CANADA

Mise en contexte

Dans le discours du Trône et le budget fédéral présentés en juin dernier, le gouvernement du Canada a confirmé sa volonté d’atteindre l’équilibre budgétaire d’ici 2014-2015 en procédant dès cette année à un examen des dépenses et des programmes afin d’identifier des économies annuelles de 4 milliards de dollars. 

L’un des défis auxquels fera face le gouvernement dans l’atteinte de cet objectif est d’assurer, parallèlement, le maintien de  ses engagements envers les individus et les collectivités du Canada.

Cette volonté d’être « ici pour tous les Canadiens et toutes les Canadiennes » est présente dans le discours du Trône prononcé par le gouverneur général le 3 juin dernier : le gouvernement s’y engage notamment à soutenir les familles et les communautés qui travaillent si fort pour s’entraider et y présente des mesures visant à « assurer que tous les Canadiens possèdent les compétences et qu’ils saisissent les occasions leur permettant de contribuer, d’innover et de réussir ».

D’autres engagements, complémentaires à ceux-ci, s’adressent aux citoyens, aux familles et aux collectivités de langue française en situation minoritaire au pays. Avec la Loi sur les langues officielles, le gouvernement s’est engagé non seulement à offrir des services et des communications en français et en anglais, mais aussi à « favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ».

L’exercice qui mène au prochain budget fédéral en est donc un d’équilibre entre deux priorités : celle d’assainir les finances publiques et celle de continuer à être là pour les Canadiens et les Canadiennes. Une des façons d’atteindre cet équilibre est d’identifier des manières de faire plus, à moindre coût, de manière plus efficiente.

Les organismes et institutions des communautés comme prestataires de services et de programmes

Le gouvernement du Canada a judicieusement reconnu, dans le discours du Trône de mars 2010, que « c’est souvent dans les collectivités mêmes que nous trouvons les meilleures solutions aux défis variés qui s’y posent ».

Cette observation et l’intention, exprimée par le gouvernement dans le même discours du Trône,  d’établir des partenariats avec les organismes sur le terrain, sont particulièrement judicieuses et pertinentes dans un contexte de recherche d’efficiences et d’économies dans les dépenses et programmes gouvernementaux.

Branchés sur la collectivité qu’ils desservent, les organismes et institutions de nos communautés sont en mesure de livrer des services et des programmes à un coût moindre que s’ils étaient offerts directement par des institutions gouvernementales ou par le secteur privé.

D’un bout à l’autre du Canada, des centaines d’organismes dédiés au développement des communautés francophones vivant en situation minoritaire développent et livrent des programmes, des activités et des services qui rejoignent les citoyens et les citoyennes de langue française dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Que ce soit en santé, en éducation, en économie et en création d’emplois, au niveau de l’accès à la justice, de l’alphabétisation, de la jeunesse, de la culture ou de services d’accueil et d’intégration pour les immigrants, ces organismes s’adressent aux défis locaux ou régionaux tout en accroissant la capacité de vivre en français partout au pays.

Les fonds investis par le gouvernement du Canada auprès de ces organismes de nos communautés, que ce soit à travers les Programmes d’appui aux langues officielles (Patrimoine canadien), la Feuille de route pour la dualité linguistique ou d’autres programmes dans divers ministères, permettent de produire des retombées concrètes non seulement pour les francophones mais, dans plusieurs cas, pour la communauté toute entière.

De par leur collaboration active avec le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux/territoriaux et les municipalités, de par la connaissance qu’ils ont de leur milieu, ces organismes sont en mesure d’apporter une contribution importante au développement économique et à l’épanouissement des collectivités qu’ils desservent. À cet égard, les histoires à succès sont déjà nombreuses. Par exemple :

·         Au cours de l’année 2010-2011, la Société de développement économique (SDÉ) de la Colombie-Britannique a enregistré 1 200 demandes de renseignements, a répondu à 249 immigrants et à 428 touristes et a fourni 475 services consultatifs. Son appui a contribué à créer, à maintenir ou à améliorer 230 emplois et 116 entreprises.

·         À chaque année, les tournées de Réseau Ontario, le réseau de diffusion des arts de la scène de l’Ontario français, totalisent plus de 700 représentations devant plus de 100 000 spectateurs à travers la province. À travers le réseau scolaire Salut!, formé de plus de 375 écoles, Réseau Ontario permet aux jeunes Franco-Ontariens de connaître les artistes francophones de la province et du Canada et renforce ainsi l’attachement de ces jeunes à la langue française. 

·         Au cours de l’année 2010-2011, 240 personnes et familles immigrantes ont reçu des services d’accueil et d’établissement à travers le secteur immigration de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE); le travail de la FANE a par ailleurs eu pour résultat l’ouverture officielle, en octobre 2010, du Centre d’immigration francophone Nouvelle-Écosse.

·         Au cours de l’année 2009-2010, le Service d’orientation et de formation des adultes (SOFA) géré par l’Association franco-yukonnaise a fourni des services d’aide à l’emploi à 160 clients, reçu 330 inscriptions à ses services de développement professionnel et personnel et fourni des services d’alphabétisation à environ 150 personnes.

Ces exemples n’illustrent toutefois qu’une des manières dont les fonds investis par le gouvernement fédéral dans les organismes et institutions des communautés produisent de la valeur ajoutée et un retour sur l’investissement. Ils ont également un effet levier très important.

D’une part, ils génèrent des investissements des gouvernements provinciaux et territoriaux, des municipalités et du secteur privé qui amplifient l’action des organismes et institutions et maximisent l’atteinte de résultats. D’autre part, ces fonds contribuent à engager les citoyens et les citoyennes envers leurs organismes et institutions et envers leur collectivité : des calculs basés sur L’Enquête canadienne sur le don, le bénévolat et la participation nous ont permis de conclure que chaque dollar investi par le gouvernement génère au moins 8,00 $ en bénévolat.

Créer les conditions de succès des communautés

Dans son discours du Trône de juin 2011, le gouvernement fédéral a réitéré que les communautés « sont les mieux placées pour surmonter leurs défis particuliers, mais le gouvernement peut contribuer à créer les conditions qui leur permettront, ainsi qu’aux industries qui les soutiennent, de réussir ».

Miser sur l’expertise des organismes et institutions des communautés

Le gouvernement du Canada a à cœur la réussite des communautés francophones et acadiennes. Il l’a démontré, notamment, avec la Feuille de route pour la dualité linguistique canadienne.  Contribuer à cette réussite des communautés en misant sur l’expertise de leurs organismes et institutions équivaut à une façon innovatrice pour le gouvernement d’atteindre ses objectifs et de remplir ses engagements à moindre coût et avec plus d’efficience. 

Ces organismes et institutions sont solidement ancrés dans leurs communautés. Ils comprennent les réalités que vivent ces communautés au plan économique, humain, social et culturel, et ils en tiennent comptent dans leurs planifications. Ils mobilisent les forces vives de leur milieu au service du développement de la collectivité.

Au niveau national, les communautés francophones et acadiennes ont établi lors du Sommet des communautés francophones et acadiennes (2007) un bilan général du développement des collectivités de langue française en milieu minoritaire au plan de la démographie, de la diversité, de l’accès aux services et de la vitalité économique, sociale et culturelle. S’inspirant de ce bilan, les communautés se sont donné avec le Plan stratégique communautaire des objectifs précis et des résultats concrets à atteindre d’ici 2017.

Depuis, le Forum des leaders, formé de 42 organismes qui sont des chefs de file du développement des communautés, travaille avec une variété de partenaires gouvernementaux et communautaires en vue d’un avenir où les citoyens et les citoyennes francophones partout au pays vivent et s’épanouissent en français, ont les capacités collectives d’agir dans tous les domaines de leur développement et contribuent ainsi à l’essor du Canada.

Renforcer la capacité des organismes et des institutions communautaires

S’il est clair que les partenariats avec les différents de paliers gouvernementaux permettent de maximiser et faire fructifier les investissements du gouvernement fédéral, il faut reconnaître que livrer des activités et des services au citoyen et à la collectivité avec efficience et à moindre coût passe par le renforcement des capacités des organismes et institutions de faire ce travail. Les moyens dont ils disposent à l’heure actuelle sont nettement insuffisants pour répondre adéquatement à la demande croissante pour des services et des programmes en français qui répondent aux besoins des individus et de la collectivité.

Le financement de base de la très grande majorité des organismes au service des citoyens francophones vivant en milieu minoritaire n’a pas augmenté depuis 1999. Bien que le gouvernement ait consenti des sommes additionnelles pour des projets ciblés au cours des années, il n’en demeure pas moins que les montants accordés pour les programmations des organismes n’ont pas tenu compte du taux d’inflation. En dollars constants, le financement des organismes francophones et acadiens a en fait connu une baisse au cours de la dernière décennie.

En 2008, des études portant sur les conditions de travail dans neuf provinces et territoires ont révélé que le personnel voué aux services en français en santé, en développement économique, en culture, en employabilité, en services à la petite enfance, en accueil et intégration des immigrants, est considérablement sous-payé. Règle générale, la rémunération du personnel communautaire francophone se situe entre 20 000 $ et 30 000 $ par année en-deçà de ce qu’offrent les secteurs privé et public pour le même genre de travail.

Ces conditions de travail inférieures ont comme impact un taux de roulement anormalement élevé dans le personnel des organismes et institutions des communautés. En mars 2011, une étude réalisée par les chercheurs Éric Forgues et Sylvain St-Onge[1] a démontré que plus de la moitié (56,3 %) des organismes acadiens et francophones du Nouveau-Brunswick éprouvent des difficultés sur le plan du recrutement. Par ailleurs, un portrait des groupes communautaires publié en 2010 par l’Observatoire sur la gouvernance de l’Ontario français révèle quant à lui que 65,3 % des organismes étudiés éprouvent des difficultés de recrutement[2].

Cet état de fait fragilise la capacité des individus et des familles de recevoir les services en santé, en éducation, en développement économique ou en immigration dont ils ont besoin; au fur et à mesure que l’inflation mine la capacité financière de ces organismes, on verra une érosion de ces services. À terme, c’est l’engagement du gouvernement de soutenir les familles et les communautés et d’appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire qui s’en trouve mis à risque. 

Recommandations

Nous formulons donc deux recommandations au Comité permanent des Finances en vue du prochain budget fédéral :

·         Un renforcement des investissements en appui aux organismes et des institutions des communautés de langues officielles. Une bonification stratégique de ces investissements ou, à tout le moins, un maintien de ceux-ci à leur niveau actuel permettrait au gouvernement de continuer à s’acquitter à moindre coût de ses engagements à l’égard des citoyens francophones vivant en milieu minoritaire qui veulent et demandent des services dans leur langue. Compte tenu de l’intention du gouvernement d’appliquer des compressions budgétaires de 5 à 10 % aux programmes, ce renforcement des investissements serait une importante mesure positive en conformité avec la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

·         Renouvellement de la Feuille de route pour la dualité linguistique 2008-2013. Cette initiative gouvernementale a été et continue d’être d’une importance capitale pour nos communautés en ce qui a trait à la création et l’expansion de services, d’activités et de programmes dans des secteurs clés comme la santé, la jeunesse, la justice, le développement économique et l’immigration. Nous recommandons que le gouvernement annonce dans son prochain budget son intention de renouveler la Feuille de route pour la période 2013-2018.

Conclusion

Dans un contexte d’austérité financière et d’utilisation responsable et efficiente des fonds publics, il est important de retenir que les organismes et les institutions qui sont au service des citoyens et des citoyennes de langue française, tout comme ceux qui desservent une myriade de collectivités diverses d’un bout à l’autre du pays, font leur part depuis déjà plusieurs années. Ils ont trouvé des solutions innovatrices pour composer avec des ressources de plus en plus restreintes et ils ont réussi, malgré tout, à produire des résultats tangibles pour les individus et les familles qui veulent vivre en français, des résultats qui s’inscrivent en ligne avec l’engagement du gouvernement en termes d’appui au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le renforcement que nous recommandons, loin d’être déraisonnable en temps d’austérité budgétaire, devrait plutôt être perçu comme un réalignement stratégique des ressources. Couper encore une fois dans les investissements dans les organismes et institutions des communautés rendrait ceux-ci incapables de livrer les services auxquels s’attendent les citoyens de langue française, des services auxquels ils ont droit. Cela obligerait, dans plusieurs cas, les institutions gouvernementales à identifier des alternatives, puisque l’engagement du gouvernement envers les individus, les familles, les collectivités et l’appui au développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire est toujours là.

D’autre part, la reprise économique demeure fragile. Comme le note à juste titre la Fondation Trillium de l’Ontario, c’est dans les collectivités de petite taille – et bon nombre de communautés francophones sont de ce groupe - qu’on ressent souvent le plus l’impact du ralentissement économique. Des compressions supplémentaires dans les investissements au niveau des organismes et institutions des communautés causeraient non pas uniquement des pertes de services, mais également des pertes d’emplois qui n’aideraient en rien la reprise économique.

Les organismes et institutions des communautés francophones et acadiennes travaillent en collaboration avec le gouvernement du Canada au bénéfice non seulement de leurs collectivités, mais du pays tout entier. À l’heure où le gouvernement cherche à consolider l’avantage compétitif du Canada en éliminant le déficit et en identifiant des façons innovatrices d’être là pour les Canadiens et les Canadiennes, nous sommes là pour faire partie de la solution.


[1]      Forgues, Éric et Sylvain St-Onge, avec la collaboration de Josée Guignard Noël, Portrait de la gouvernance des organismes acadiens et francophones au Nouveau-Brunswick, Université d’Ottawa, mars 2011, p. 38

[2]      Cardinal, Linda, Élaine Déry, Nathalie Plante et Anik Sauvé, Volume 1 : Un portrait des groupes communautaires, Observatoire sur la gouvernance de l’Ontario français, Université d’Ottawa, mars 2010, p. 33